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" Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque.

A te regarder, ils s'habitueront. "

(René Char)

Hommage à la vie - Jules Supervielle

C’est beau d’avoir élu
Domicile vivant
Et de loger le temps
Dans un coeur continu,
Et d’avoir vu ses mains
Se poser sur le monde
Comme sur une pomme
Dans un petit jardin,
D’avoir aimé la terre,
La lune et le soleil,
Comme des familiers
Qui n’ont pas leurs pareils,
Et d’avoir confié
Le monde à sa mémoire
Comme un clair cavalier
A sa monture noire,
D’avoir donné visage
À ces mots : femme, enfants,
Et servi de rivage
À d’errants continents,
Et d’avoir atteint l’âme
À petits coups de rame
Pour ne l’effaroucher
D’une brusque approchée.
C’est beau d’avoir connu
L’ombre sous le feuillage
Et d’avoir senti l’âge
Ramper sur le corps nu,
Accompagné la peine
Du sang noir dans nos veines
Et doré son silence
De l’étoile Patience,
Et d’avoir tous ces mots
Qui bougent dans la tête,
De choisir les moins beaux
Pour leur faire un peu fête,
D’avoir senti la vie
Hâtive et mal aimée,
De l’avoir enfermée
Dans cette poésie.

Ô mon bel enfant
Libre et prisonnier
Prisonnier des contraintes des hommes
Et libre de les transcender...
N'aie jamais peur du vide
Car c'est le vide qui t'a enfanté
Accroche toi aux parois dures et lisses de la vie
Accroche tes ongles aux moindres interstices
A la moindre infractuosité du roc
Ouvre large tes oreilles à l'appel du vent
A la musique du silence
Ouvre tes narines aux senteurs fortes et subtiles
Des parfums de la terre, de la sueur de la peau
De tout ce qui exhale, qui respire
Pour lorsque t'arrivera le pire
Tu puisses en tirer le meilleur
Ouvre tes bras à la détresse humaine
Car ta propre détresse peut en être le ferment
Ouvre ton coeur à la beauté secrète
Sourde, aveugle et muette
Parce que rare est celui qui le voit
Parce que rare est celui qui l'entend.
Garde ton âme
Comme une source ouverte
A la soif
De l'errant, du mendiant, du poète,
Du chercheur...
De l'enfant
Et ton regard innocent
Et ton esprit honnête
Garde les toute ta vie
Car la simplicité
Est la marque des grands.


Jacques Higelin

C'est encore mieux, dit par Higelin en introduction musicale à sa "symphonie des droits de l'homme"


L'important - Robert Gélis

- C'est quoi, l'Important ?
- L'Important, c'est d'accrocher des rires
Aux branches sèches de la vie…

- C'est quoi, la Vie ?
- La Vie, c'est chercher son étoile
Dans le fouillis du ciel…

- C'est quoi, le Ciel ?
- Le Ciel, c'est ce qu'on ne peut voir
Qu'en fermant les yeux…

- C'est quoi, les Yeux ?
- Les Yeux, ce sont des forges vives
où s'embrasent les rêves…

- C'est quoi, les Rêves ?
- Les Rêves….

C'est ce qui est important…

(citation donnée dans le livre de George Steiner "Dix raisons (possibles) à la tristesse de pensée")

"Telle est la tristesse inséparable de toute vie finie, [...] une tristesse [...] qui jamais ne devient effective et sert  à donner la joie éternelle de la surmonter. De là viennent le voile d'affliction qui s'étend sur toute la nature, la mélancolie profonde et inéaltérable de toute vie.
Il n'y a donc de vie qu'en la personnalité : or, toute personnalité repose sur un fond obscur, qui doit aussi servir de fond à la connaissance."
SCHELLING, De l'essence de la liberté humaine

»Dies ist die allem endlichen Leben anklebende Traurigkeit, die aber nie zur Wirklichkeit kommt, sondern zur ewigen Freude der Überwindung dient. Daher der Schleier der Schwermut, der über die ganze Natur ausgebreitet ist, die tiefe unzerstörliche Melancholie alles Lebens. Nur in der Persönlichkeit ist Leben; und alle Persönlichkeit ruht auf einem dunklen Grund, der allerdings auch Grund der Erkenntnis sein muß.«
Schelling Über das Wesen der menschlichen Freiheit (1809)


" Quand il ne peut plus lutter contre le vent et la mer pour poursuivre sa route, il y a deux allures que peut encore prendre un voilier : la cape (le foc bordé à contre et la barre dessous) le soumet à la dérive du vent et de la mer, et la fuite devant la tempête en épaulant la lame sur l’arrière avec un minimum de toile. La fuite reste souvent, loin des côtes, la seule façon de sauver le bateau et son équipage. Elle permet aussi de découvrir des rivages inconnus qui surgiront à l’horizon des calmes retrouvés. Rivages inconnus qu’ignoreront toujours ceux qui ont la chance apparente de pouvoir suivre la route des cargos et des tankers, la route sans imprévu imposée par les compagnies de transport maritime.
Vous connaissez sans doute un voilier nommé « Désir » "

                                Henri Laborit Eloge de la fuite


INSTRUCTIONS POUR CHANTER
Commencez par casser les miroirs de chez vous,
laissez tomber les bras, regardez vaguement le mur, oubliezvous.
Chantez une seule note, écoutez à l’intérieur. Si vous
entendez (mais cela n’arrivera que bien plus tard), si vous
entendez quelque chose comme un paysage submergé dans la
peur, avec des bûchers qui brûlent entre les pierres, avec
des silhouettes accroupies à moitié nues, je crois que vous
serez sur le bon chemin, et de même si vous entendez une
rivière où descendent des barques peintes de jaune et de
noir, si vous entendez une saveur de pain, un toucher de
doigts, une ombre de cheval.
Après achetez des solfèges et un habit de
cérémonie, et s’il vous plaît ne chantez pas dans le nez et
fichez la paix à Schumann.
Julio Cortázar
(dans « Cronopes et Fameux », 1962)

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